Extrait du livre Pinocchio, ou les mirobolantes aventures d'un pantin
Pinocchio, ou les mirobolantes aventures d'un pantin de Carlo Collodi, adapté par Jean-Sébastien Blanck illustré par Jonathan Bousmar aux éditions Alzabane
Pinocchio, ou les mirobolantes aventures d'un pantin
Avant-propos de l’éditeur En 1981, le philosophe Italo Calvino écrivait à l’occasion des cent ans de la parution des Aventures de Pinocchio : « On ne s’imagine pas un monde sans Pinocchio. » À l’instar du Petit Prince ou de Don Quichotte, le personnage est en effet connu du monde entier. Pourtant, bien que traduit dans toutes les langues, le conte de Carlo Collodi, paru en 1881, n’est pas aussi lu que ce que l’on pourrait imaginer. Aujourd’hui, la notoriété du pantin doit autant au dessin animé de Walt Disney (1941) qu’au livre lui-même. Elle le doit également – comme Don Quichotte – à ses innombrables dérivés, très librement adaptés : au cinéma, à la télévision, au théâtre, en bande dessinée et, bien sûr, en éditions réduites pour les petits lecteurs. Ces dernières sont d’ailleurs si nombreuses que les Italiens les qualifient du terme méprisant de « Pinocchiate ». Pourtant, à l’inverse de Don Quichotte, le conte se lit très facilement. Les Aventures de Pinocchio est même considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature italienne. Le texte de Carlo Collodi, simple et beau, mérite donc d’être lu dans son intégralité. Initialement, notre intention était d’ailleurs d’en proposer une traduction sans la moindre coupe. Néanmoins, une contrainte graphique s’est imposée d’elle-même : une édition en deux cents pages, accompagnée d’au moins cinquante images en grand format ne le permettait pas. Avec Pinocchio ou les mirobolantes aventures d’un pantin, nous avons donc choisi d’offrir une adaptation illustrée, respectueuse du texte (auquel nous avons ajouté quelques locutions italiennes), en ne sacrifiant aucun événement, mais en résumant des dialogues et des descriptions, et en coupant de longs monologues rappelant les faits. Ici et là, il a fallu nous résoudre à la suppression de dialogues secondaires, mais en retour, nous proposons un récit accompagné de cinquante-cinq sublimes illustrations de Jonathan Bousmar. C’est à lui que nous devons deux précédents succès de la collection Histoires d’Antan : Des Étonnantes Aventures de Renart et de son compère Ysengrin et L’Histoire des admirables Don Quichotte et Sancho Pança. Suivant le scénario de votre serviteur, et s’inscrivant dans la lignée des grands dessinateurs du XIXe – tels Carlo Chiostri et Enrico Manzatti –, Jonathan Bousmar ajoute dans cette édition une touche résolument burlesque et fantastique des
personnages comme des décors. Nos lecteurs découvriront, par exemple, une vision certainement inédite du requin, vu comme une sorte de Nautilus de Jules Verne (contemporain de l’œuvre). À noter que quelques arrangements graphiques ont été nécessaires par rapport à l’œuvre d’origine. Par exemple, la fée aux cheveux bleus, qui, dans le texte de Collodi, passe d’enfant à femme, n’a dans les illustrations qu’une seule apparence : celle de la maman. Enfin la dernière illustration propose une interprétation personnelle de la fin du livre : devenu un « bon petit garçon », Pinocchio n’abriterait-il pas toujours l’âme de l’indécrottable pantin de bois ? Mais rendons à César ce qui est à Carlo Collodi. De son vrai nom Carlo Lorenzini, ce journaliste est né en 1826 à Florence, en Italie. Issu d’un milieu populaire, il connaît la pauvreté, thème omniprésent dans le conte. À l’âge de 55 ans, en 1881, il répond à une commande du journal italien Giornale per i bambini, un des premiers journaux destinés à l’enfance. Ainsi naît Storia di un burattino (L’Histoire d’une marionnette). Carlo Collodi avait l’intention d’arrêter l’histoire à la mort du pantin, pendu par le chat et le renard à la branche d’un grand chêne, mais de nombreux lecteurs écrivirent pour exiger de nouveaux épisodes... Son livre sera, au XXe, le deuxième livre le plus vendu en Italie (plus de 9 millions d’exemplaires), après La Divine Comédie de Dante. Depuis des décennies, une littérature de tous horizons (y compris de psychiatres) tente d’en expliquer les raisons. Rappelons seulement qu’à l’instar des grandes œuvres de la littérature jeunesse, Les Aventures de Pinocchio s’adresse aux enfants comme aux parents. Très éloigné du dessin animé de Disney, le livre se lit à plusieurs niveaux : d’abord, celui d’un conte de fées peuplé d’animaux malfaisants, drôles, effrayants ou moralisateurs. Ensuite, celui d’une aventure picaresque au cœur d’une Italie où règne la faim. Il n’y a là de salut possible que dans l’école et le travail. Tantôt volontaire et paresseux, égoïste et généreux, naïf et rusé, Pinocchio s’y montre proche de ses frères de la commedia dell’arte, Arlequin et Polichinelle, qui apparaissent au début du conte. Les Aventures de Pinocchio, c’est enfin un parcours initiatique : celui d’un être à la recherche de lui-même, celui d’un garçon à la recherche de son père et de sa mère qui, en disparaissant, lui offre la vie... Mais, trêve de bavardage... Une petite voix se fait déjà entendre. C’est une bûche... Oui, vous avez bien entendu... une petite bûche... Jean-Sébastien Blanck Directeur d’Alzabane éditions
Où Maître Cerise trouve un morceau de bois et... le donne à Geppetto !
Il y avait une fois… – Un roi ! diront tout de suite mes petits lecteurs. – Non, mes enfants, vous vous êtes trompés ! Il y avait une fois… un morceau de bois ! Ce n’était pas un morceau de luxe, mais l’une de ces bûches qu’on trouve dans les vulgaires tas de bois et qu’on met dans les poêles ou les cheminées, pour réchauffer la maison. Je ne sais comment cela arriva, mais le fait est qu’il se retrouva un jour dans la boutique d’un vieux menuisier, maître Antoine. On l’appelait plutôt… maître Cerise, à cause de son bout de nez, toujours luisant et violet comme une cerise. Quand il découvrit ce morceau de bois, maître Cerise se frotta joyeusement les mains et marmonna : – Tu tombes à pic ! Je vais faire de toi un pied de table ! Mais à peine avait-il brandi sa hache qu’il entendit une petite voix suppliante. – Ne me tape pas si fort ! Éberlué, ahuri, maître Cerise chercha partout d’où venait la voix. En vain. Croyant que son imagination lui jouait un mauvais tour, il reprit le morceau de bois et lui asséna un coup magistral ! – Aïe ! Tu m’as fais mal, s’écria la petite voix.
Cette fois, maître Cerise resta pétrifié, comme un masque de carnaval. Il se mit à trembler et à bafouiller. Mais d’où pouvait bien sortir cette voix ? Il n’y avait personne dans cet atelier ! Cette bûche ? Mais comment saurait-elle parler et se lamenter, cette bûche tout juste bonne à mettre au feu pour faire cuire des haricots ! Le menuisier reprit le morceau de bois et le cogna sur tous les murs de la pièce. Mais aucune voix ne se fit entendre... C’était bien cela ! Cette voix, maître Cerise l’avait simplement rêvée… Rassuré, il se remit à l’ouvrage et commença à raboter le morceau de bois. Et tout à coup, tandis qu’il chantonnait, il entendit la petite voix ! – Hé ! Arrête ! Tu me chatouilles ! Maître Cerise s’écroula, foudroyé de stupeur. Quand il rouvrit les yeux, il se trouva assis par terre, le visage tout bleu de peur. C’est à ce moment-là qu’on frappa à la porte. – Entrez, dit le menuisier, tout à fait incapable de se relever. Un petit vieux mais tout fringant entra. Il s’appelait Geppetto mais les enfants du quartier le surnommaient Polenta, à cause de sa perruque qui ressemblait à de la bouillie de maïs. Or, Geppetto était très susceptible et il se mettait en rage dès qu’il entendait ce sobriquet.
– Bonjour, maître Antoine ! Mais que faites-vous ainsi par terre ? – J’apprends l’arithmétique aux fourmis, répondit maître Cerise avec agacement. Qu’est-ce qui vous amène, compère Geppetto ? – Je suis venu vous demander du bois, car ce matin, une idée a germé dans mon esprit. Je voudrais fabriquer un merveilleux pantin, qui saurait danser et faire des sauts périlleux. Grâce à lui, je ferais le tour du monde et je pourrais gagner mon quignon de pain et mon verre de vin. – Bravo, Polenta ! s’écria la petite voix. Entendant cet affreux surnom, Geppetto s’énerva et demanda à maître Cerise pourquoi il l’insultait ainsi. Maître Cerise nia, mais l’autre ne fut pas convaincu. Tant et si bien que les deux petits vieux s’échauffèrent les esprits et passèrent aux actes. Ils s’empoignèrent les perruques et se mordirent en se rouant de coups !
Finalement, les deux hommes se réconcilièrent. En signe d’amitié, maître Antoine alla chercher le morceau de bois qui parlait. Mais, quand il voulut le donner, celui-ci lui échappa des mains et alla frapper avec violence les tibias du pauvre Geppetto. – Espèce d’âne ! hurla de douleur Gepetto. C’est ainsi que vous faites des cadeaux ? – Mais ce n’est pas ma faute ! rétorqua l’autre. – Menteur ! C’est à cause de moi, peut-être ? Bourrique ! – Ne m’insultez pas, Polenta ! Les coups se mirent de nouveau à pleuvoir, mais, exténués, les deux combattants cessèrent la bataille et se serrèrent la main une bonne fois pour toutes. Geppetto prit sous le bras son morceau de bois et, tout en boitillant, s’en retourna chez lui, un bien misérable et petit logis. Il prit ses outils, tailla la bûche et commença à fabriquer son pantin. – Je vais t’appeler Pinocchio, dit-il en travaillant le front, puis les cheveux, puis les yeux. Ce nom te portera chance. J’ai connu toute une famille de Pinocchi ! Le père s’appelait Pinocchio, la mère Pinocchia, les enfants Pinocchi. Tous avaient la belle vie et, pourtant, le plus riche d’entre eux était... mendiant ! Soudain, Geppetto s’aperçut avec stupeur que les yeux remuaient, et même... qu’ils le regardaient fixement ! – Pourquoi me regardes-tu ainsi ? s’écria-t-il aussi stupéfait qu’irrité. Est-ce que j’ai l’air d’un macaroni ? Alors, il fit le nez, mais, à peine eut-il fini que ce nez se mit à grandir, grandir... grandir ! Après le nez, Geppetto fit la bouche. Elle n’était même pas terminée qu’elle se mit à rire et à se moquer du pauvre homme ! – Basta ! s’écria plusieurs fois Geppetto. Arrête de rire ! Mais au lieu de se taire, la bouche sortit une langue démesurée ! Geppetto fit mine de ne rien voir et, après la bouche, il fit le menton, puis le cou, les épaules et l’estomac. Il avait à peine terminé les mains qu’il sentit aussitôt sa perruque jaune s’enlever de sa tête ! – Pinocchio ! Rends-moi tout de suite ma perruque ! Mais au lieu de cela, Pinocchio se la mit sur la tête et resta là-dessous, à moitié étouffé ! – Diable d’enfant ! se lamenta avec mélancolie le vieil homme. Tu n’es même pas encore terminé que, déjà, tu manques de respect à ton père ! Puis Geppetto fit les bras, les jambes et ceci fait, Pinocchio lui asséna un coup de pied sur son nez !





























