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Omar tisserand d'art

Omar tisserand d'art

9-12 ans - 39 pages, 10563 mots | 1 heure 17 minutes de lecture | © Éditions du Jasmin, 2025, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Omar tisserand d'art

9-12 ans - 1 heure 17 minutes

Omar tisserand d'art

Depuis des générations, les hommes de la famille de Omar sont bergers de père en fils. Ils élèvent des moutons Barbarin, en Tunisie. Mais le jeune garçon, lui, rêve d’être tisserand. Or ce métier a toujours été exercé par des femmes, et le père de Omar s’oppose fermement à la décision de son fils.

Omar devra-t-il abandonner ses rêves ? Réussira-t-il à vivre sa passion ?

"Omar tisserand d'art" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
Du même éditeur :

Extrait du livre Omar tisserand d'art

Omar tisserand d’art, écrit par Janz Singleton et illustré par Anne Buguet Aux éditions du Jasmin


Omar tisserand d'art
1 Dans la plaine Il était une fois un garçon nommé Omar, le plus jeune enfant d’une grande famille qui habitait la plaine depuis toujours. Par une journée d’été, sous un ciel bleu éclatant, Omar gardait ses moutons. Assis à flanc de colline, il surveillait son troupeau, comme il le faisait tous les jours depuis un mois. Tandis que les moutons pâturaient paisiblement, Omar se désaltérait en buvant le thé préparé le matin même par sa grand-mère Hanna. En le lui remettant, elle avait dit : « Il fera chaud et tu passeras de longues heures avec tes bêtes. Alors, n’oublie pas de boire. » En lui tendant sa natte de jonc tressée, elle avait ajouté : « Prends bien soin de ta natte. Elle t’est aussi indispensable que ton bâton de berger. Elle te servira longtemps pour garder les moutons… et pour bien d’autres choses encore. » Sur la plaine, il n’était pas encore midi, mais le soleil tunisien tapait déjà fort.
Avec ses moutons pour seule compagnie, Omar reprit une gorgée de thé. L’odeur du thym réchauffé parfumait l’air de la plaine. Une brise légère passa à travers les eucalyptus. Pris d’une soudaine envie de dormir, Omar déroula sa natte et s’allongea. En fermant les yeux, il poussa un grand soupir. Un mois plus tôt, le jour de ses sept ans, son père Hassine lui avait confié un troupeau de moutons. Les paroles qu’il avait prononcées ce jour-là lui revinrent alors à l’esprit : « Tu es grand maintenant, Omar. C’est en prenant soin de ton propre troupeau que tu apprendras à être berger. » Omar n’avait pas été étonné de ses paroles, mais elles ne l’avaient pas enchanté. Depuis des générations, la famille de Omar élevait des moutons. De père en fils, ils étaient bergers : avant son père Hassine, ce fut son grand-père Ali. Avant Ali, ce fut Youssef. Et avant Youssef, il y eut Aziz, Ilyes, Idriss. Et tant d’autres qu’il était impossible de les compter. C’était alors le tour de Omar. Avec quatre sœurs à la maison, la tradition familiale des bergers reposait sur ses épaules. Pas plus tard qu’hier soir, lorsqu’il se reposait après le dîner, son grand-père Ali, habillé de son vieux burnous blanc, sa chéchia rouge vermillon sur la tête, avait rappelé à Omar : « Il y a des milliers d’années, nos moutons Barbarin vivaient déjà au pays. Ce sont les mêmes Barbarins que nous gardons aujourd’hui. Tu peux être fier de faire partie d’une longue lignée de bergers tunisiens. — Oui, Jeddi (1) », répondit Omar, docilement, toujours impressionné lorsque son grand-père parlait. Omar aimait les moutons avec leur grosse queue touffue et leur toison bien fournie, leur laine blanche et leur tête foncée. « As-tu donné des noms à tes bêtes, Omar ? continua Ali. Les meilleurs bergers le font. Dès qu’ils font paître un troupeau. — Oui, Jeddi », répondit encore Omar. Omar connaissait déjà chacun de ses moutons par son nom. « C’est bien, Omar », dit Ali, fermant les yeux, l’air satisfait. Le grand-père et le père de Omar s’attendaient à ce qu’il devienne berger. C’est ce que faisaient tous les hommes de la famille. Omar aurait bien voulu leur faire plaisir, seulement, l’été passé, il avait compris qu’il ne le serait jamais. 1. Grand-père.
2 Un souvenir magique Les yeux fermés, allongé sur sa natte de jonc, Omar s’assoupit. Il se laissa doucement transporter ailleurs, loin de la plaine, loin des moutons… Ses rêveries l’amenèrent à Ksar-Hellal où il avait séjourné l’été précédent. Puisqu’il était de coutume pour un père de prendre en main l’éducation de son fils à l’âge de sept ans, la mère de Omar, elle, avait voulu l’emmener une dernière fois à la ville passer l’été avec sa famille qui y vivait. D’abord réticent, le père de Omar avait enfin cédé au vœu de sa femme, tout en précisant : « Après cette fois-ci, c’en est terminé, des séjours à Ksar-Hellal pendant les mois d’été : j’aurai besoin de Omar, été comme hiver. Lorsqu’il aura sept ans, c’est moi qui m’occuperai de lui. Il fera paître son premier troupeau. » Omar avait écouté silencieusement la déclaration de son père. Seul garçon de la famille, il avait déjà compris ce que cela voulait dire.
Mais en attendant ce jour inévitable, Omar fut heureux d’aller passer l’été avec sa maman, ses grandes sœurs, et sa grandmère Hanna, de rendre visite à ses tantes et sa grand-tante à la ville. Omar se faisait chouchouter par elles toutes et cela ne lui déplaisait pas du tout. Le lendemain de leur arrivée à la ville, sa grand-mère l’amena faire des emplettes et flâner dans le souk. Il y avait tant de choses à voir. Rapidement, les pas de Hanna les menèrent vers la boutique de sa sœur Anissa, qui tenait une minuscule boutique de tissage. Après les premières embrassades, les deux sœurs, ne s’étant pas vues depuis des mois, s’animèrent de mille et une discussions. Laissé à lui-même, Omar admira les tissages et les étoffes entassés du sol au plafond dans les quelques mètres carrés de la petite boutique. Ainsi entouré de brocarts tramés d’or étincelants et de mousselines chatoyantes, Omar sentit un bonheur à la fois doux et chaleureux l’envahir. Il ne put s’empêcher de toucher. Sous ses doigts, il sentit aussi bien de la douceur que de la rugosité. Certaines textures étaient chaudes, d’autres fraîches. Il y avait de tout : de la soie, de la laine, du coton, du lin. Devant cette multitude d’étoles, d’écharpes, de foulards, de nappes, de couvre-lits, de rideaux, et de foutas qui se déclinaient dans une myriade de couleurs et de tons des plus étonnants, Omar se demanda : « Comment est-ce possible de créer de si belles choses ? Ces tissages semblent être descendus tout droit du ciel ! » Sa grand-tante, qui jusque-là échangeait gaiement les nouvelles avec sa sœur, remarqua que Omar admirait ses œuvres, et devinant ses pensées, lui proposa :
« Omar, habibi (1), veux-tu voir comment travaillent les tisseuses ? — Avec plaisir, Khalti (2), répondit-il. — Mon atelier de tissage n’est pas loin. Allons-y tout de suite. Nous y prendrons le thé. » C’est ainsi que Omar et sa grand-mère Hanna partirent avec sa grand-tante vers le lieu où se fabriquaient les merveilleux tissages. L’atelier était bien caché dans le souk. Sans l’aide de Khalti, il aurait été introuvable tellement les ruelles tournaient dans tous les sens ! En quelques minutes, ils arrivèrent devant une minuscule porte rose qui s’ouvrit sur une grande pièce éclairée. De l’entrée, Omar dut se frayer un chemin pour passer à travers les fils qui pendaient du plafond et remplissaient ainsi l’espace audessus de leurs têtes dans une profusion de couleurs. Du bleu, de l’orange, du mauve, du jaune, du rose… Du coin de l’œil, Omar vit un plateau avec des makrouds, une théière et des verres. L’odeur de miel qui émanait des friandises lui mit tout de suite l’eau à la bouche. Mais le bruit rythmique des peignes en bois attira davantage son attention. Plus encore, des étoffes achevées et soigneusement pliées sur les étagères qui tapissaient les murs le séduisirent à un point tel qu’il ne put s’empêcher de passer la main sur elles au fur et à mesure qu’il avançait dans l’atelier. « Leïla ! Nadia ! Jéhanne ! » cria sa grand-tante. Elle frappa des mains et continua d’une voix enjouée : « Je vous présente mon petit-neveu qui vient juste de découvrir nos œuvres. Vous avez un admirateur ! » 1. Mon cher. 2. « Ma tante ». Peut également signifier « ma grand-tante ».
En pénétrant plus loin dans la pièce, Omar vit les femmes, chacune devant un métier à tisser. Les fuseaux, qui jusque-là voyageaient de part et d’autre à toute allure pour entrecroiser les fils de chaîne et le fil de trame, se ralentirent. Les canettes de fil avec leurs bobines, qui faisaient gaiement du bruit sur leur passage, se calmèrent. Les tisseuses quittèrent leurs métiers en poussant quelques youyous (3) pour s’assembler autour de Omar. Tandis que deux d’entre elles, Nadia et Jéhanne, préparaient les verres de thé et cherchaient les makrouds, une autre, Leïla, demanda à Omar : « Tu veux essayer ? Viens ! » Leïla emmena Omar devant son métier où elle l’installa sur un petit tabouret. Elle montra à Omar comment faire voyager les canettes, ce à quoi il s’essaya une dizaine de fois. « Omar, viens goûter les makrouds ! » C’est alors qu’en passant vers la gauche, la première canette dit : « Mais c’est qui ? » Et encore, en passant vers la droite, la deuxième canette répondit : « C’est Omar, tisserand d’art. »Omar se demanda s’il avait rêvé. Leïla eut l’air de ne rien entendre et dit : « Bravo, Omar ! C’est un bon début ! » Le cœur de Omar battit si fort qu’il ne goûta que distraitement les makrouds. Les paroles mystérieuses du métier à tisser, elles, le laissèrent bien perplexe. À partir de ce jour-là, Omar ne pensa plus qu’à devenir tisserand. 3 Le marabout Omar se réveilla brusquement. Le ciel bleu l’aveugla un instant. Au loin, un arc-en-ciel rayonnant faisait suite à une averse de l’autre côté de la plaine. Devant lui, un bélier ailé le regardait fixement. « Sami ? demanda Omar, frottant ses yeux. Est-ce bien toi ? — C’est moi », répondit Sami. À son grand étonnement, Omar vit que Sami, le plus vieux et le plus redoutable bélier de son troupeau, dont il connaissait bien les cornes et la toison impressionnantes, était maintenant muni de deux ailes. « Tu as changé, remarqua Omar. Ne me dis pas que tout ce temps… — Est-ce si difficile à croire ? demanda Sami. — Non, répondit Omar, tout de même surpris. Seulement, je ne m’y attendais pas. Toi, changé en djinn ? »Les moutons du troupeau ne leur prêtaient guère attention et continuaient à brouter l’herbe. 3. Cri de joie poussé par les femmes arabes lors de cérémonies.
« Les djinns ne se présentent aux humains que lorsque le besoin se fait sentir, expliqua Sami. Lève-toi. Je t’amène voir le marabout. — Le marabout ! s’étonna Omar. Et le troupeau, alors ? — Ta natte gardera le troupeau pendant notre absence. » Sans se poser de question, Omar grimpa sur le dos de Sami et chevaucha le bélier. Peu à peu, les champs devinrent plus petits, l’oued où se désaltérait le troupeau se transforma en un trait fin, et des minarets apparurent au loin, ici et là.« Pourquoi m’amènes-tu voir le marabout ? demanda Omar. — Il a quelque chose d’important à te dire », répondit Sami. Dix minutes plus tard, Sami et Omar atterrirent au milieu d’un champ de ruines romaines, devant une maisonnette blanche de forme carrée. Omar connaissait ce lieu, car il avait accompagné son père et d’autres villageois qui offraient des présents au marabout à l’occasion de fêtes familiales. « Entre », ordonna Sami. Le marabout t’attend. Passant de la lumière éblouissante du jour à la quasiobscurité, Omar ne vit rien pendant quelques instants. Il sentit une odeur amère et vit enfin les contours du vieux marabout qui, sous son burnous à capuche, fumait le narguilé. « Omar, cela fait un mois que tu gardes le troupeau que ton père t’a confié, dit-il. — Cela est vrai, marabout, dit Omar. — Aurais-tu oublié quelque chose ? » demanda le marabout. Omar ne comprit pas ce qu’il aurait pu oublier. Il ne répondit pas. « Ne te souviens-tu déjà plus ce qui s’est passé l’été dernier dans la boutique de ta grand-tante ? — Je n’oublierai jamais, marabout », répondit-il, confus, même honteux.