Extrait du livre Bleu et absolument génial
Bleu et absolument génial de Nadine Brun-Cosme et Sarah Vehla aux éditions Voce Verso
Bleu et absolument génial
Mon petit coin secret, là où je cache toutes mes petites choses... Ce n’est plus mon armoire aux oiseaux que Papa m’a peinte quand j’étais toute petite, ni dessous mon lit où se cachent les moutons, ni au fond de mon placard où il fait bien trop noir. Mon petit coin secret, maintenant, c’est juste entre mes deux orteils, le tout petit et celui juste avant. Je ne l’ai pas vraiment choisi. Je n’y aurais même pas pensé. Qui pourrait bien choisir comme coin secret le petit creux entre ses deux orteils ? Qui pourrait avoir une idée aussi bête ? Moi.
À cause du poil de laine bleue, un poil de mes vieilles chaussettes bleues. Papa venait de les balancer à la poubelle, « manu militari » comme il dit quand il prend une décision, et aussi « parce qu’enfin, hein, il faudrait quand même voir à ranger de temps en temps ». Ça, c’est sa phrase quand Maman part plusieurs jours pour son travail de vendeuse de haute volée. C’est comme ça que dit Papa. Vendeuse de haute volée. Je ne sais pas bien ce que c’est mais j’ai toujours un peu peur que Maman ne redescende pas. Bref, Maman venait de partir pour huit jours. Papa venait de balancer mes vieilles chaussettes bleues que Maman m’avait offertes et que j’adore. Et j’hésitais entre HURLER sans reprendre mon souffle pendant au moins trois bonnes minutes et PLEURER toutes les larmes de mon corps trois jours durant, quand j’ai vu entre mes deux orteils le petit point bleu. Ça m’a calmée d’un coup. J’ai enfilé dare-dare une autre paire de chaussettes et toute la journée, j’ai eu l’impression de trimbaler avec moi un petit bout de Maman.
Ma meilleure copine, c’est Amélie. Elle a des cheveux retenus par des barettes et j’ai horreur de ça. Elle porte des pulls bleu marine et, les jours de beau temps, des pulls bleu ciel et j’ai horreur de ça. Moi, j’ai toujours des pulls avec au moins quatre couleurs. Elle a toujours des dix à tous les devoirs et j’ai horreur de ça, parce qu’à côté, mes quatre et mes cinq ont l’air d’être encore plus petits.
Seulement voilà. Quand elle voit mes cheveux pas coiffés et mes pulls bariolés et mes quatre et mes cinq qui ne me rendent pas triste tout le week-end, Amélie ne me dit pas : — Appolline, tu ne fais jamais comme les autres ! Non. Amélie, elle dit : — Génial ! Appolline, tu es géniale ! Bref, avec Amélie, je me sens géniale. C’est à Noël qu’Amélie est vraiment devenue ma meilleure amie. La maîtresse voulait des étoiles pour décorer la classe. Des étoiles ! Pourquoi pas des sapins ou bien des pères Noël, tant qu’on y est ! J’ai donc fait des étoiles, puisqu’il fallait ! Des étoiles marrantes, avec des pieds, des mains et même des yeux qui louchent et des qui tirent la langue. J’étais assez fière de moi. La maîtresse a regardé. Elle a fait : — Bien, bien ! de ce petit air que je déteste, et elle cherchait déjà où les planquer pour qu’on ne les voie pas trop. Elle avait commencé à les accrocher dans les rideaux, bien dans les plis pour qu’on ne voie rien. Et puis, Amélie est arrivée. Elle les a détachées doucement, elle a dit : — Mais c’est génial ! Et comme Amélie est la meilleure de la classe, la maîtresse a tout ramené devant les rideaux, et toute la classe s’est mise à faire des étoiles à mains et à pieds et loucheuses et à langue tirée. C’était la première fois qu’on affichait mon travail au tableau et, rien que pour ça, Amélie, je l’aimerai toute ma vie. Seulement là, tout de même, le coup de mon secret entre mes deux orteils, même elle, je ne la vois pas en train de me dire : — Mais oui, génial, des secrets entre tes deux orteils !























